Purge, Sofi Oksanen

Publié le par Arianne

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Un roman poisseux, qui sent l’oignon et le vieux papier défraîchi, qui pue le foutre et la trahison, qui suinte la jalousie et la perte.

L’histoire de l’Estonie à travers le destin bouleversant d’une famille brisée. Le portrait de deux femmes qui luttent contre elles, contre leur pays, contre l’histoire.

« La fille était russe, une Russe qui parlait estonien. »

1992

Zara débarque dans la vie d’Aliide Truu. La jeune fille à moitié morte et terrifiée atterrit dans la cour d'une petite ferme estonienne et va trouver refuge chez la vieille qui n’a peur de rien. Son histoire est décousue. Aliide est méfiante : qui est-elle ? Que vient-elle chercher ? Aliide en a vu d’autres mais elle est bien décidée à ne pas laisser le passé refaire surface.

« Mais la terreur de la fille était tellement vive qu’Aliide la ressentit soudain en elle-même. Bon sang, comment son corps se souvenait-il de cette sensation, et s’en souvenait si bien qu’il était prêt à la partager dès qu’il l’apercevait dans les yeux d’une inconnue ? […] Pour Aliide, la peur était censée appartenir à un temps révolu. Elle l’avait laissée derrière elle […] »


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L'Estonie

1944

Les Russes débarquent en Estonie et réquisitionnent les fermes pour en faire des kolkhozes, formatent les esprits, enquêtent, interrogent, maltraitent, torturent. Chacun prend son rang et suit le mouvement, certains luttent et résistent dans la forêt, les autres sont déportés en Sibérie.

 

1936-1939

Le quotidien d’Aliide et de sa sœur Ingel est bouleversé. Deux événements fondamentaux vont sceller le destin de la famille de manière irrémédiable : Aliide tombe amoureuse de Hans, et Ingel se marie avec lui.

« Encore Ingel. Ingel avait toujours tout obtenu et il en serait toujours ainsi, car Dieu n’en finissait pas de se moquer d’Aliide. Il ne suffisait pas qu’Ingel se rappelle toutes les petites astuces qu’elle tenait de sa mère, qu’elle lave la vaisselle avec l’eau de cuisson des pommes de terre pour la faire briller. Il ne suffisait pas qu’Ingel se souvienne des conseils, contrairement à Aliide, qui laissait les assiettes grasses après les avoir lavées. Non, Ingel savait tout sans même apprendre. Depuis sa première traite, Ingel trayait les vaches de telle sorte que le lait dans le seau moussait par-dessus bord, les pas d’Ingel dans le champ n’avaient pas leur pareil pour faire pousser les céréales. Cela non plus ne suffisait pas. Il fallait encore qu’Ingel obtienne l’homme qu’Aliide avait vu la première. Le seul qu’Aliide aurait voulu. »


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1991

Zara quitte Vladivostok avec des rêves plein la tête : l’université, les études, l’argent… et l'espoir de revenir, fière, raconter cette vie à sa grand-mère. Elle se retrouve à Berlin aux prises avec deux mafieux impitoyables – Pacha et Lavrenti – qui lui infligent les pires horreurs.

« Zara ne comprit pas de quoi elle était en dette.

Néanmoins, elle commença à compter combien elle avait payé pour son prêt, combien il lui restait à rembourser, combien de mois, combien de semaines, de jours, d’heures, combien de matins, combien de nuits, combien de douches, de pipes, de clients. […] Combien de maladies elle choperait, combien de bleus. Combien de fois sa tête serait enfoncée dans la cuvette des W.-C. et combien de fois elle pourrait être sûre qu’elle se noierait dans le lavabo, la main de fer de Pacha sur la nuque. La marche du temps peut se mesurer à autre choses qu’aux aiguilles, et son calendrier se renouvelait sans cesse, car de nouvelles pénalités tombaient tous les jours. »


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Toutes les époques, tous les personnages se mettent en place dans un ballet parfaitement maîtrisé. Sofi Oksanen joue un peu avec nos nerfs tant on voudrait comprendre qui est qui et voir divulguer tous les secrets. Mais l’histoire, comme les femmes, ne se révèlent pas si facilement. Chacune a forgé sa chape de non-dits si jalousement gardés que le dévoilement en est, comme l'épluchage de l'oignon, sinon impossible, au moins douloureux.


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Sofi Oksanen

 

« Après ce murmure, les yeux de la fille s’écarquillèrent et elle s’assit d’un bond. Aliide recula prudemment. La fille restait bouche bée. Il n’en sortait pas de voix. La fille regardait fixement vers Aliide, mais son regard effaré ne se posait pas sur elle. Il ne se posait nulle part. Aliide répétait qu’il n’y avait aucun danger, avec la voix apaisante qu’elle aurait utilisée pour un animal domestique apeuré. Le regard de la fille ne traduisait pas la moindre compréhension, mais sa bouche grande ouverte avait quelque chose de familier. Ce n’était pas tant la fille elle-même que la manière dont elle se comportait, dont sa peau cireuse couvrait des impressions frémissantes qui ne remontaient pas jusqu’à la surface, et dont son corps était aux aguets malgré son regard vide. »


« La grand-mère s’était assise dans la même cuisine qu’elle-même tout à l’heure, réveillée dans la même chambre qu’elle-même ce matin, avait bu l’eau du même puits, était sortie par la même porte. Les pas de la grand-mère avaient foulé la terre de cette cour, c’était de cette cour qu’elle partait pour l’église et dans cette étable que sa vache avait fait la forte tête. L’herbe qui chatouillait le pied de Zara était la caresse de sa grand-mère, le vent dans les pommiers était le chuchotement de sa grand-mère, et Zara avait l’impression de regarder les étoiles par les yeux de sa grand-mère, et quand elle rebaissa le visage, il lui sembla que le jeune corps de sa grand-mère se tenait à l’intérieur du sien, en quête d’une histoire qu’on ne lui avait pas racontée. »

 


« Sa fille grandirait dans les éloges de Martin, dans les histoires racontées par Martin, qui n’avaient rien d’estonien. Sa fille grandirait dans des histoires où rien n’était vrai. Aliide ne pourrait jamais raconter à Talvi les histoires de sa propre famille, celles qu’elle avait entendues de sa maman, celles avec lesquelles elle s’endormait, quand elle était enfant, la nuit de Noël. Elle ne pourrait rien raconter sur l’endroit où elle-même avait grandi, et sa mère, et la mère de sa mère, et la mère de la mère de sa mère. Elle ne transmettrait pas non plus son histoire, mais les autres, toutes celles sur lesquelles elle avait grandi. Quel genre d’adulte pourrait-il devenir, un enfant qui n’aurait pas d’histoires en commun avec sa mère, pas d’anecdotes communes, pas de blagues ? Comment être mère, quand il n’y avait personne à qui demander conseil, comment ça pourrait marcher dans une situation pareille ? »

 


 « Impuissante, Zara s’était effondrée sur le sol du cagibi.

Les murs haletaient, le sol respirait, les planches crachaient de l’humidité. Le papier peint grésillait.

Sur sa joue, elle sentit des pattes de mouches. Comment faisaient-elles pour voler dans le noir ?

À présent, Aliide était au courant. »

 

Dans le labyrinthe

Le site de l'auteur (en anglais)

L'adaptation au cinéma

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La rencontre avec l'auteur

De fil en aiguille

insomnie   terre des affranchis   chagrins

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