L'enfant de Noé, Eric-Emmanuel Schmitt

Publié le par Arianne

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Dans la série « J’ai découvert Eric-Emmanuel Schmitt, remettez-moi en en, s’il-vous-plaît ! » – faut dire que le trop court Monsieur Ibrahim ne rassasie pas vraiment – voici donc le tout aussi joli, sensible et rapide Enfant de Noé. Où l’on croise un curé qui apprend l’hébreu, un Juif qui veut devenir catholique, une synagogue dans la crypte d’une chapelle et un « père Pons » qui non seulement n’est pas père mais n’a aucun lien avec la pierre homonyme.

 

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L'arche de Noé, Gustave Doré


Après les fleurs du Coran, nous voilà cette fois à la lisière de la Torah. Joseph, tout jeune Juif de presque sept ans, est confié par sa mère à une famille de nobles quand la situation devient critique (on est en 1942 en Belgique). Ceux-ci parviennent à donner le change un moment mais se voient finalement obligés de confier l'enfant au père Pons. Le curé de Chemlay recueille les orphelins et, avec l’aide de l’atypique et redoutable Sacrebleu, cache au sein de ses ouailles quelques enfants juifs rescapés. Pour ne pas attirer l’attention, ceux-ci suivent les cours de catéchisme et les offices.

Pour le jeune Joseph, cette période est pleine de nouveautés, de découvertes, d’aventures, de saine insouciance. C’est aussi la rencontre avec le catholicisme, exotique autant que mystérieux :

« En une seconde, je compris tout : Dieu était là. Partout autour de nous. Partout au-dessus de nous. C’était lui, l’air qui vacillait, l’air qui chantait, l’air qui rebondissait sous les voûtes, l’air qui faisait le dos rond sous la coupole. C’était lui, l’air qui se trempait aux teintes des vitraux, l’air qui brillait, l’air qui chatoyait, l’air qui sentait la myrrhe, la cire d’abeille et le sucre des lys.

J’avais le cœur plein, j’avais le cœur fort. Je respirais Dieu à plein poumons, aux limites de l’évanouissement.

La liturgie se poursuivait. Je n’y comprenais rien, je contemplais la cérémonie avec paresse et fascination. Lorsque je m’efforçais d’en saisir les paroles, le discours passait mes capacités intellectuelles. Dieu était un, puis deux – le Père et le Fils – et parfois trois – le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Qui était le Saint-Esprit ? Un cousin ? Soudain, panique : il devenait quatre ! Le curé de Chemlay venait d’y ajouter une femme, la Vierge Marie. Embrouillée par cette multiplication subite des dieux, j’abandonnai le jeu des sept familles en me jetant sur les chansons car j’aimais bien donner de la voix. »

Mais le père Pons a d’autres projets pour lui. Cet humaniste qui, tel Noé, s’est forgé sa petite arche souterraine, tente quel que soit l’opprimé, de sauver les traces des cultures menacées.

La marque de fabrique d’E.-E. Schmitt fonctionne bien : des personnages attachants (le jeune Joseph est tellement attendrissant avec sa naïveté, son bon sens et ses questions existentielles !), un ton léger, tendre et souvent drôle pour aborder des sujets délicats, une lecture simple et divertissante pour une douce réflexion sur l’engagement, la transmission, le devoir et la religion. Le tout, avec beaucoup de tendresse et d’humanité.

 

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 « Le lendemain, les Sully m’annoncèrent que je ne pourrais plus rester chez eux car leur mensonge ne résisterait pas à une enquête.

– Le père Pons va venir et il s’occupera de toi. Tu ne peux être entre de meilleures mains. Tu devras l’appeler “mon père”.

– Bien, mon oncle.

– Tu ne l’appelleras pas “mon père” pour faire croire qu’il est ton père, comme tu m’appelles “mon oncle”. Le père Pons, tout le monde l’appelle “mon père”.

– Même vous ?

–Même nous. C’est un prêtre. Nous disons “mon père” quand nous nous adressons à lui. Les policiers  aussi. Les soldats allemands aussi. Tout le monde. Même ceux qui ne croient pas.

– Ceux qui ne croient pas qu’il est leur père ?

– Même ceux qui ne croient pas en Dieu.

J’étais très impressionné de rencontrer quelqu’un qui était le « père » du monde entier, ou qui passait pour tel. »

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