J'apprends l'hébreu, Denis Lachaud

Publié le par Arianne

j-apprends-l-hebreu.jpg

« Tout n’a rien du conte de fées.

Chaque jour de la vie de chaque enfant qui a grandi se charge de le lui rappeler.

Au cas où il tenterait de l’oublier. »

 

La famille de Frédéric déménage à Tel-Aviv. Après Paris, Oslo et Berlin, le déracinement continue : nouveau départ, nouvel emménagement, nouveau tout à reconstruire. Et une nouvelle langue à apprendre.

« J’apprends à lire et à écrire.

De nouveau.

Comme à six ans.

J’ai six ans de nouveau. Je me souviens de mes six ans. Je me souviens des mots écrits commençant à véhiculer du sens quand je feuillette mes livres. Je me rappelle que tout change au moment où je cesse de regarder uniquement les images. Je ne pensais pas revivre un tel miracle deux fois dans ma vie, je suis bouleversé, merci. »

Frédéric est spécial. Adolescent perturbé manifestant des troubles de la communication, il a une vie intérieure très riche et une perception des choses peu commune. Pour ne pas perdre pied sur cette nouvelle terre, il organise les choses et découvre de manière méthodique son nouveau territoire. Cette notion d’ailleurs est pour lui fondamentale et il se lance dans un sondage auprès des habitants auxquels il pose ces questions :

« Quelles langues parles-tu ? Quel est ton territoire ? Comment te sens-tu à l’extérieur de ton territoire ? Ton territoire a-t-il changé de taille au cours de ta vie ? »

Questionner le territoire là où il est autant sujet à polémique est intéressant. Mais Frédéric n’interroge pas la question palestinienne, il se concentre sur le territoire de l’être, sur ce qui nous ancre à la réalité, à l’autre, à la vie. Il trie, analyse, observe. Des témoignages variés qu’il collecte, il tisse une vérité complexe. Car s’il apprend l’hébreu – qui lui ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre humain – il tente surtout d’inventer son territoire, de trouver sa place, de s’incarner au monde.

fond_gauche_hebreu_01.jpg

Voilà un titre qui ne rend pas hommage à la beauté et à la complexité de ce très joli roman, plein d’interrogations essentielles. Frédéric est un garçon extrêmement sensible et intelligent qui se construit un monde à lui, peut-être pour échapper au déracinement : porter en soi son territoire pour de ne jamais devoir le quitter.

Un voyage dans l’âme complexe et torturée de ceux qui cherchent et se perdent au gré de leurs détours.

denis-lachaud.jpg

Denis Lachaud

« Il faut penser autrement. Il faut que je déplace les cloisons dans ma tête. J’ai l’habitude. Ce n’est pas là une source de souffrance potentielle. L’hébreu va tout réorganiser.

Il faut tellement penser autrement qu’il faut se retourner et lire dans l’autre sens, de droite à gauche. Parmi toutes les langues dont j’ai entrepris l’apprentissage, l’hébreu est la première qui se lit et s’écrit de droite à gauche. Autant dire que mon cerveau qui lit entre en ébullition, comme un pays en révolution.

Je me dis que l’hébreu est sûrement la bonne langue pour moi. Peut-être que l’autre sens m’aidera à vivre avec plus d’aisance. Peut-être que l’hébreu est la solution à mes questions, la langue qui est faite pour moi. Peut-être pourrai-je vivre l’épanouissement auquel chacun en droit de prétendre si les mots se présentent dans l’autre sens. J’en ai envie.

Leçon après leçon, je découvre la structure de la langue, j’apprends ce qui structure la nation qui la parle. Aujourd’hui, le livre me révèle qu’en hébreu, le verbe être ne se conjugue pas au présent.

Etre, au présent, ça n’existe pas, non.

On peut être au passé, on peut être au futur, mais pas au présent.

L’hébreu est la langue qui sait qu’on ne peut pas être au présent.

On peut penser, manger, marcher, dormir mais pas être. Tous ces gens que j’observe dans la rue étaient, seront mais ne sont pas et ils le savent. C’est ainsi qu’ils vivent.

Désormais, je ne suis pas.

J’étais et je serai.

Au présent, je me contenterai de devenir.

Ca change toutes les perspectives.

Apprendre une langue m’a toujours permis de découvrir comment je dois regarder le monde dans lequel je vis. »

Dans le labyrinthe

La présentation vidéo du livre par l'auteur

Une interview de l'auteur

De fil en aiguille

tsiganes  ouragan  chroniques de jerusalem couv

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article